Serious Game
Violence, incitation à la haine, sexe… Les jeux vidéo sont accusés de tous les maux. En plus de leur contenu qui, si l’on en croit nos amis les boomers, ferait bouillir n’importe quel philanthrope en manque de tisane, les jeux vidéo causeraient aussi beaucoup d’échecs scolaires. Le manque de sommeil dû au Try hard intensif pour monter ton Pingoleon niveau 100, les déficits de concentration, le temps passé à arracher des mauvaises herbes sur ton île au lieu de réviser tes maths… Ils sont vraiment vilains ces jeux. Et pourtant, l’école a su en tirer profit. Les serious games, c’est comme cela que l’on nomme les jeux ayant un but éducatif. Alors, vouloir faire plaisir aux « djeun’s » tout en leur apprenant des trucs, c’est bien, mais est-ce que ça marche ?
Aujourd’hui, pas de gros dossier, promis ! Nous allons d’abord définir ce qu’est un serious game. Nous ferons un tour du côté de la sociologie de l’éducation pour comprendre et ensuite expliquer (attention gros spoil) pourquoi ça ne peut pas marcher !
Le jeu, c’est sérieux !
Bon, les jeux vidéo, si vous êtes tombés sur cette page, normalement, vous connaissez. Par contre, les serious games, c’est autre chose.
Selon Julian Alvarez, le serious game est une :
« Application informatique, dont l’objectif est de combiner à la fois des aspects sérieux (Serious) tels, de manière non exhaustive, l’enseignement, l’apprentissage, la communication, ou encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo (Game). Une telle association a donc pour but de s‘écarter du simple divertissement.»
(J. Alvarez, 2007)
C’est bien l’application éducative du Serious game que nous allons étudier, et elle prend de l’ampleur. La preuve, j’ai déniché cette définition sur Eduscol, un site créé par le ministère de l’éducation nationale pour accompagner le personnel enseignant. Rien que ça !
Serious game star
Cette définition est quand même très large et, à part savoir que c’est un jeu éducatif, on ne sait pas grand chose de ces nouveaux jeux. Alors, déjà, on peut dire que c’est un abus de langage de dire « nouveaux jeux ». En réalité, un des premiers Serious games date de 2002. America’s Army est un jeu ayant pour but de diffuser un message engagé, des connaissances et dispenser un entraînement, ce qui en fait un serious game que l’on peut ranger dans la catégorie des jeux engagés (ce jeu a été créé par la US Army dans le but de convaincre les jeunes à s’engager dans l’armée… A quand un jeu 100% français sur les gendarmes ?).
Mais il y a plus vieux encore ! Si vous avez plus de 20 ans, vous connaissez sûrement les vidéastes derrière la chaîne Joueur du Grenier et, plus récemment, Bazar du Grenier. Dans une vidéo de 2016 de la chaîne secondaire, on peut voir les tests de jeux éducatifs codés avec le… avec la main dans un pot de miel cassé, tels que Sonic Schoolhouse ou encore Mario Is missing. Ces jeux moches et aussi amusants qu’un Nouvel An confiné sont des serious game (et je vous assure que la laideur des graphismes et le non-fun sont presque une religion pour les serious game).
Les différents types de serious game
Si nous nous attardons spécifiquement sur un certain type de serious game, ils existe tout de même différentes catégories. On a les serious games :
- publicitaires, ayant pour finalité l‘incitation à l’achat (je vous laisse aller voir l’article sur le placement de produit dans le jeu vidéo)
- engagés qui ont pour but de sensibiliser à une cause, un parti politique…
- d’entraînement ou de simulation
- ludo-éducatifs, type que l’on va étudier ici
Ludique et éducatif
Dans la catégorie ludo-éducatif, rien qu’en français, il en existe des centaines, pour la grande majorité gratuits, et sur vraiment tous les sujets, des mathématiques à l’histoire en passant par la SVT. Voici un lien qui en regroupe déjà 200 (allez y faire un tour par curiosité mais n’espérez pas vous amuser non plus).
Il existe près d’un millier de serious game éducatifs, créés dans le seul but de révolutionner l’apprentissage et de permettre aux jeunes générations d’apprendre en s’amusant. Mais est-ce que ça marche ?
Serious game et pédagogie du détour
En sociologie de l’éducation, on essaie de questionner les pédagogies nouvelles et leurs soi-disant recettes magiques pour révolutionner l’éducation et les apprentissages (là aussi, on parle de pédagogies nouvelles alors qu’elles ont plus de 100 ans !). Forcément, nous sommes en droit de nous poser la question : est-ce qu’on apprend vraiment avec les serious games ?
Avec les serious games, on nous promet d’apprendre sans en avoir l’impression grâce à la dimension ludique de l’apprentissage. C’est ce que l’on peut classer dans la case des pédagogies du détour. Si l’on en croit Stanislaw Tomkiewicz, un psychiatre polonais :
« le volontariat que nous exprimons par une parabole : « on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif », nous oblige à adopter des conduites de détour, une pédagogie de détour, pour essayer de sauver ce que l’on peut encore de cet effondrement des valeurs culturelles. La base de cette pédagogie de détour est de mettre l’accent non pas sur la réception de biens culturels, mais sur l’expression. »
(S. Tomkiewicz, 2013)
La pédagogie du détour, c’est transmettre des connaissances ou des compétences en évitant d’y aller de manière trop frontale. Par exemple, apprendre la géométrie avec le dessin ou bien apprendre à compter avec du coloriage.
Cette pédagogie permettrait d’éviter le choc trop brutal de la pédagogie traditionnelle devenue has been. Mais nos amis les sociologues sont allés vérifier si c’était, en effet, plus efficace, et il semblerait que non.
Malentendu socio-cognitif
Stéphane Bonnéry, sociologue de l’éducation, a travaillé sur ces méthodes éducatives. Dans un article paru en 2013, il nous explique que ces pédagogies nouvelles, cherchant à tout prix à éviter un cours trop frontal et linéaire, rendent en réalité encore plus floues les attentes scolaires :
« Plusieurs raisons contribuent à enrôler les élèves dans l’activité et à opacifier les contenus scolaires et les perception des œuvres qu’elle véhicule, et donc les articulations intellectuelles utiles lors du « retour » dans la scolarité ordinaire. »
(S. Bonnéry, 2013)
Apprendre avec un jeu vidéo, c’est compliqué. Plus on va « cacher » les apprentissages, plus ils seront bien cachés. Conséquemment, les élèves voient juste un jeu un peu nul et un peu moche sans vraiment avoir conscience des sauts cognitifs attendus dans cet exercice un peu particulier.
Conclusion :
Dans le fond, l’idée était sympa. C’est difficile de mobiliser des élèves sur des cours qui ne les intéressent pas forcément. Les serious games n’arrivent pas à faire ce pour quoi ils ont été conçus, à savoir trouver une alternative ludique et efficace aux apprentissages et à l’acquisition de nouvelles compétences.
Les élèves ayant déjà de grandes difficultés scolaires sont les moins réceptifs à ces dispositifs, contrairement à ce qu’on pourrait peut-être penser. Ces élèves sont ceux qui ont le plus de mal à faire les sauts cognitifs demandés. Les sauts se transforment alors en malentendus et les plongent dans un brouillard épais, les éloignant des connaissances.
Alors, désolés l’éducation nationale, mais ce n’est toujours pas la solution. Merci d’avoir essayé. Laissez les jeux être juste des jeux, ils nous apprennent bien plus que ce que vous semblez croire. Mais ça, nous le verrons dans un prochain dossier.
Merci d’avoir pris le temps de lire cet article, retrouvez d’autres dossiers sur le site de PCS.
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Je ne connaissais pas du tout ces termes, merci pour cet article !
Continuez comme ça !
J’avais entendu parler de ces « jeux pédagogiques » sans avoir lu de retour dessus. Une belle idée en effet mais hélas visiblement pas une solution. Merci pour cet article fort instructif.
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